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Photo du rédacteurJérôme Erulin

REPENTIR ET RÉPARATION : LA COMMUNICATION GAGNANTE D’AGAMEMNON

Communiquer sur le repentir de ses propres erreurs est un art délicat dans un monde prompt à juger et à condamner sans recul. Et pourtant c’est une stratégie précieuse à maitriser car en humanisant son auteur, en le rapprochant de son public, qui se sait imparfait et faillible, le repenti crée une dynamique sur laquelle peut se (re)construire la confiance, s’il accepte de réparer et de se mettre en risque.


Rien à voir avec la communication sur la repentance mémorielle collective laquelle ressemble pour son acteur à un canon qui tire par la culasse : mis en avant sans gloire ni mérite personnel, à l’heure d’une communication ultra-individualisée, il risque d’un jugement sévère des deux parties qu’il prétend réconcilier, sans aucun bénéfice.


Agamemnon, furieux guerrier qui conduit dix ans de guerre contre Troie a certainement des leçons à nous donner car c’est la reconnaissance assumée de ses erreurs qui lui a valu de reprendre une dynamique victorieuse.


Petite relecture pour ceux qui voudraient s’en inspirer.

Gravure représentant Achille manifestant sa colère à Agamemnon et photo d'une cérémonie de repentance pour l'esclavage
« ἀλλ᾽ ἐπεὶ ἀασάμην καί μευ φρένας ἐξέλετο Ζεύς, ἂψ ἐθέλω ἀρέσαι, δόμεναί τ᾽ ἀπερείσι᾽ ἄποινα··» « Mais si j’ai erré naguère, si Zeus m’a ravi la raison, j’entends en faire ici amende honorable et en offrir une immense rançon»

Du repentir à la victoire

Agamemnon se repend et promet réparation : c’est l’acmé, le climax de l’Illiade que nous n’avons pas tous retenu.


Remettons en contexte : d’un côté les Grecs menés par Agamemnon lequel est fâché avec Achille, son meilleur guerrier. De l’autre les Troyens dont Hector est le leader. Après la victoire en combat singulier d’Hector sur Patrocle, le plus cher ami d’Achille, ce dernier se résout à oublier sa colère contre son chef et allié. Alors que les Grecs sont en posture fragile avec l’ennemi aux portes de leurs retranchements, il propose de reprendre le combat, animé désormais d’une fureur bien plus grande contre Hector [1].


Le coup de théâtre survient alors : Agamemnon, dans une réaction peu commune chez un chef politique ou un chef de guerre, reprend la main sur la communication : il assume publiquement (même s’il l’impute à Zeus) être à l’origine de la mésentente initiale et entend réparer en puisant sur son patrimoine personnel.


La suite est connue : avec le terrifiant Achille à leur tête, les troupes grecques revivifiées repoussent violemment les Troyens loin des nefs Argyennes[2] pour les obliger à se réfugier derrière leurs remparts. Hector défie Achille devant les portes et est cruellement vaincu par ce dernier. La guerre n’est pas finie mais elle a définitivement basculé.


Le repentir du leader : puiser dans son capital-confiance


S’il est désormais courant dans le coaching ou le management d’entendre les bienfaits (discutés) d’une forme d’apprentissage par l’échec, il est plus rare de lire les vertus de l’étape suivante qu’est le repentir. Se repentir c’est non seulement reconnaitre qu’on a fait fausse route (Achille) mais en prendre à son compte la responsabilité et les conséquences pour réparer et mieux rebondir (Agamemnon).


Certes, la vox populi ou une certaine conception de l’honneur réclame souvent la démission du « chef » fautif. C’est une échappatoire douloureuse mais aussi un soulagement puisqu’elle débarrasse l’intéressé du problème qu’il a créé.


Le leader de confiance ne serait-il pas au contraire celui qui reprend la situation et la rétablit, voire l’améliore et prouve ainsi que cette confiance était méritée ? Plutôt que « débrouillez-vous sans moi » c’est « on relève le gant, on purge les dégâts et on remonte la pente ».


La communication sur cette approche est forcément délicate. Elle joue sur l’admiration naturelle pour ceux qui se relèvent et reprennent la course, le cavalier qui remonte à cheval après la chute à l’obstacle. Une confiance de l’autre revivifiée par la confiance en soi. La gestion d’un capital que la faute n’a pas épuisé. Pas toujours évident comme mentalité, pas toujours réalisable comme programme sans donner un coup de fouet à ce capital-confiance durement écorné. Ce coup de fouet, c’est la réparation.


La réparation : risque ou opportunité de communication


Le discours doit trouver le juste milieu entre une forme d’arrogance prêtée à celui qui ne se considère pas disqualifié par un échec et l’humilité de celui qui sait qu’il n’est pas infaillible. La concrétisation d’une réparation joue un rôle pivot dans l’acceptabilité de la démarche. Elle démontre que l’auteur de la mauvaise décision l’assume matériellement, se met en risque et sera ainsi le plus motivé pour réussir la nouvelle tentative.


C’est le patron qui se prive de revenus jusqu’au retour des bénéfices de l’entreprise, le chef militaire qui rend ses décorations et refuse les promotions jusqu’à les mériter à nouveau, ou même l’homme politique dont les décisions électoralistes ont été prouvées comme désastreuses qui prends position publiquement pour en réparer les dégâts[3].


La repentance comme alternative ?


Si Agamemnon avait utilisé l’outil tellement contemporain de la repentance, gageons qu’il serait toujours sur la plage à en discuter. Accuser les générations antérieures de la cruauté des traditions guerrières ou bien d’avoir laissé Troie se déployer en puissance dans le bassin méditerranéen au point de faire de l’ombre aux cités grecques n’aurait rien fait avancer.


La communication de repentance établissant souvent hors-contexte la faute d’un prédécesseur et utilisant éventuellement des moyens collectifs pour la réparer fabrique de la méfiance et des questions. Sujette au doute historique, elle satisfait rarement les héritiers des parties en présence et est donc une base instable pour avancer et construire un projet collectif.


Relancer sa communication par le repentir


La communication du repentir serait un modèle à manier avec prudence dans un monde où la « justice populaire » sanctionne sans rémission tout aveu de responsabilité.


Mais pour ceux qui affrontent une crise et veulent s’en relever, il faut s’inspirer d’Agamemnon : apprendre de ses erreurs, les réparer publiquement et se hisser ainsi à la hauteur de la confiance initialement suscitée. C’est une des routes vers le succès.

Homère Ullain

[1] En fait, c’est un peu plus compliqué. Pour en arriver là : 18 chapitres/chants haletants, cruels et poétiques à lire absolument avec les 5 qui suivent [2] Argyens : autre noms des peuples grecs rassemblés contre les Troyens [3] Les révélations de la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique et les témoignages auxquels elle a donné lieu constituent une source infinie de réflexion sur le sujet


Nota : la légende de l’illustration est l'extrait principal de la déclaration d'Agamemnon dans L’Iliade - chant XIX -484/487 - Traduction de Paul Mazon –– version bilingue - Les Belles Lettres 2017

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